Ancien ministre des trois présidents socialistes chiliens Salvador Allende, Ricardo Lagos et Michelle Bachelet, Sergio Bitar connaît bien le Venezuela. Il y a vécu une partie de son exil, pendant la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990) et il n’a cessé d’y revenir depuis. Selon lui, « la crise du Venezuela montre le risque d’un retour des dictatures militaires en Amérique latine ».
« J’ai beaucoup réfléchi et travaillé sur les transitions vers la démocratie, rappelle Sergio Bitar, de passage à Paris. Le Venezuela est en train d’effectuer un cheminement inverse, de la démocratie vers l’autoritarisme. » L’ouvrage qu’il a cosigné, Transitions démocratiques : Conversations avec des chefs d’Etat, a été traduit dans plusieurs langues, dont le français (Les petits matins, 2016, 568 p., 25 euros).
« La principale leçon des transitions, de l’Afrique du Sud à la Pologne, de l’Espagne à l’Amérique du Sud, est qu’il n’y a pas de rupture abrupte, mais le résultat d’un dialogue politique, d’une négociation, secrète et publique, explique Sergio Bitar. Cela n’exclut pas la pression de la société civile et des manifestations de rue. »
« Au Venezuela, le dialogue lancé en 2016 avec la médiation du Vatican n’a pas eu les résultats escomptés et il a divisé l’opposition, constate Sergio Bitar. Il n’y a rien de bon à attendre d’une intervention des militaires. Je ne vois d’autre solution pour sortir de l’impasse actuelle que l’unité des opposants et le soutien de la communauté internationale, pour obtenir l’organisation des élections de gouverneurs des Etats [elles auraient dû avoir lieu en 2016] et le scrutin présidentiel de 2018. L’opposition doit se mettre d’accord sur cette perspective électorale comme objectif stratégique. »
Les opposants doivent aussi discuter un programme de gouvernement, car la situation économique, sociale et sécuritaire est dramatique. Le débouché électoral passe par la libération des prisonniers politiques et des changements à la Commission nationale électorale et à la Cour suprême, les principaux leviers utilisés par le pouvoir pour bloquer les avancées de l’opposition, qui contrôle l’Assemblée nationale depuis sa victoire aux législatives de décembre 2015.
La médiation internationale devrait être redéployée. La participation de la Chine, un des principaux créditeurs du Venezuela, serait souhaitable, ainsi que celle de Cuba, estime Sergio Bitar. Cependant, la présidence américaine de Donald Trump pousse La Havane vers l’immobilisme. Le Brésil et le Mexique, deux géants aux pieds d’argile, manquent de vision stratégique sur l’Amérique latine. « Face aux menaces protectionnistes de Trump, un rapprochement entre le Mercosur [Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay] et l’Alliance du Pacifique [Mexique, Colombie, Chili, Pérou], pourrait constituer une base pour l’intégration régionale », affirme le socialiste chilien.
Sergio Bitar déplore la « lâche » réponse latino-américaine aux attaques de Trump. « Le mur frontalier de Trump n’est pas érigé uniquement contre le Mexique, mais contre l’Amérique latine », s’indigne-t-il.
L’ancien ministre regrette que la diplomatie du Chili soit « rachitique », malgré le vote historique au Conseil de sécurité de l’ONU contre l’invasion de l’Irak, en 2010.
Santiago accueille à peine quelques dizaines de réfugiés syriens, alors que de nombreux Chiliens ont une ascendance moyen-orientale, comme la famille Bitar.
Le socialiste chilien remémore sa détention après le coup d’Etat de 1973 dans un ouvrage dont la traduction française vient de paraître : Dawson Île 10 : Un camp de concentration sous Pinochet (éditions Tirésias-Michel Reynaud, Paris, 288 p., 20 euros). Pour le compte d’organismes interaméricains, il a effectué des travaux de prospective sur l’Amérique latine.